Le symbolisme de la mosaïque de
Germigny-des-Prés enfin dévoilé |
ANN FREEMAN
et
PAUL MEYVAERT
(de
Cambridge, Massachusetts, USA)
nous font part du fruit de leurs recherches sur la mosaïque de Germigny-des-Prés,
recherches issues de la nouvelle édition qu'ils ont réalisée de l'ouvrage que
Théodulf composa pour Charlemagne contre le Concile II de Nicée (ouvrage
paru en 1998, sous son titre originel,
"Opus Caroli regis contra synodum",
dans la série des Monumenta
Germaniae Historica). |
Devenu évêque d’Orléans et abbé de Fleury en 798, Théodulf
décida, sans doute assez tôt après sa nomination, de construire une petite
église à côté de sa villa privée à
Germigny-des-Prés. Cette décision devait l'amener à réfléchir sur la
décoration à choisir pour son église. Ayant composé l’Opus Caroli seulement
quelques années auparavant (entre 790 et 793), où il
avait traité longuement la question des images et manifesté les tendances
aniconiques qui lui venaient de son
héritage espagnol,
plusieurs chapitres de son ouvrage ont
dû lui revenir à l’esprit. Qu’allait-il
choisir comme image principale, placée au-dessus
de l’autel, dans l’abside? L’Arche d’alliance avec son contenu avait joué un
rôle important dans son traité (voir, par exemple, Livre I, chapitres 15 et 19)
comme objet de l’Ancien Testament rempli de valeurs symboliques présageant les
mystères du futur Nouveau Testament : l’Arche
représentait le Christ, la
manne
dans l’Arche, l’eucharistie, la
verge d’Aaron,
la royauté du Christ, les deux Tables de la loi,
l’Ancien et le Nouveau Testament, etc... Nous pouvons pourtant être certain
qu’il a surtout médité le chapitre 20 du Livre I, car c’est ce chapitre
qui lui a fourni le schéma général pour l’image de la
mosaïque que nous voyons dans l’abside.
Au cours des délibérations du Concile de Nicée II, le patriarche de
Constantinople, Tarasius, avait déclaré
:
"Nous plaçons au-dessus de nos autels les images du Christ, de la Sainte Mère de Dieu, des Saints à l’imitation de l’Ancien Testament où les chérubins ont été placés au-dessus de l’Arche d’alliance."
Théodulf, dans ce chapitre 20, avait pris fortement position contre Tarasius : les images du Christ, de la Vierge, des Saints placées au-dessus des autels dans les églises ne sont que des images humaines, conçues par des artisans humains, tandis que l’Arche d’alliance, surmontée des deux petits chérubins, avait été construite par Moïse, selon les instructions précises données par Dieu même, pour être une préfiguration symbolique des mystères du Nouveau Testament. Ainsi ces représentations avaient appartenu à un ordre supérieur de réalité, sans comparaison possible avec des images conçues et réalisées par des artisans humains. Dans ce chapitre, Théodulf, sans le nommer, emprunte et fait sien un long passage du traité de Bède sur le Temple de Salomon. Ce passage explique qu’aux deux petits chérubins placés sur l’Arche par Moïse, Salomon en construisant son Temple avait ajouté deux énormes chérubins, les disposant dans le sanctuaire de manière à ce que leurs ailes couvrent l’Arche placée au centre. C’est exactement ce que nous voyons dans la mosaïque de Germigny.
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Au-dessous de cette mosaïque, sur le contour de l’abside, Théodulf a placé une inscription sur deux lignes :
ORACLUM
SCM ET CERUBIN HIC ASPICE SPECTANS ET TESTAMENTI MICAT ARCA DEI
[1]
HAEC
CERNENS PRECIBUSQUE STUDENS
PULSARE TONANTEM THEODULFUM VOTIS IUNGITO
QUAESO
TUIS
[2]
|
On peut traduire l'inscription complète ainsi :
"Regarde et contemple le saint
propitiatoire et ses chérubins :
Regarde
et contemple ce saint des saints avec ses chérubins
[3]
Et vois ici l’Arche de l’alliance
divine.
Devant ce spectacle, efforce-toi de
toucher par tes prières le Maître du tonnerre;
Et ne
manque pas, je t’en prie, d’associer Théodulf à tes prières".
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et voir la totalité de l'inscription
Résumé : Quand Théodulf dut décider concrètement de la décoration de son oratoire personnel à Germigny, il n'avait pas oublié son traité et ses convictions : pas d'images du Christ ou de la Vierge dans les églises car elles peuvent être vénérées par les fidèles en tant que telles et non pour ce qu'elles représentent. Il n'était donc pas question pour lui d’imiter ce qui était alors couramment pratiqué ailleurs, il a donc cherché une image dont toute la valeur, comme nous le verrons, réside entièrement dans le symbolisme des objets représentés. L'Opus Caroli nous révèle d’où est venu son choix de l'Arche d'Alliance avec les quatre chérubins, et ce même ouvrage va nous éclairer sur les valeurs symboliques que Théodulf accorde aux divers objets placés dans sa mosaïque.
Lire le passage complet sur l'Opus Caroli
(avec les notes)
Lire un autre article de
Paul Meyvaert sur l'Opus Caroli
Suite (Le voyage de Théodulf à Rome)
Mise en ligne : 2002
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