Germigny-des-Prés. Les inscriptions qui attestent l'origine.

Avant de pénétrer dans l'église, sous le porche, on peut lire sur le linteau de la porte d'entrée une inscription latine. Cette inscription était à l'origine tracée en lettres d'argent à l'intérieur du clocher lanterne, elle a disparu mais a été retranscrite à l'endroit où on la voit aujourd'hui. On peut la traduire ainsi "C'est moi, Théodulphe, qui ai consacré ce temple en l'honneur de Dieu, qui que tu sois, qui le visite, daigne te souvenir de moi".

Sur les tailloirs des piliers, à droite et à gauche de l'autel, on peut lire 2 inscriptions latines (traduction) :
- à droite :
"3 janvier, dédicace de cette église"
(voir ci-dessous les révélations de Maxime Yevadian à propos de cette inscription)
- à gauche : "l'année de l'incarnation de N-S. 806 sous le vocable de St Germain et sainte Geneviève".
Mais la deuxième inscription est un faux grossier de M-T Chrétin

Voir l'explication détaillée de cet épisode rocambolesque
                             

"Maxime K. Yevadian, le Titulaire de la Chaire d’Arménologie de l’Université catholique de Lyon" vient de publier un article : "Enquête sur l’inscription dédicatoire de l’architecte Eudes, dans la cathédrale d'Aix-la-Chapelle" (04/2020).
Cette publication n'est pas seulement centrée sur Aix-la-Chapelle, elle fait aussi le point sur les inscriptions de l'église de Germigny-des-Prés, ce qui nous intéresse ici au plus haut degré. Je recopie ci-dessous le passage intitulé "Le corpus des inscriptions" :

Le corpus des inscriptions

La rotonde d’Aix-la-Chapelle (env. 795-8056) contient une longue inscription au niveau du sol du premier étage de la rotonde :

« Cum lapides vivi pacis compage ligantur
inque pares numeros omnia conveniunt,
claret opus domini totam qui construit aulam
Effectusque piis dat studiis hominum
Quorum perpetui decoris structura manebit,
Si perfecta auctor protegat atque regat.
Sic Deus hoc tutum stabili fundamine templum,
Quod Carolus princeps condidit, esse velit
7. »
Lorsque les pierres vivantes sont assemblées harmonieusement,
Et que nombres et mesures concordent en tout point
l’oeuvre du seigneur (l’Empereur) qui a construit entièrement ce temple,
resplendit de tout son éclat qui couronne avec succès les pieux efforts des hommes.
C’est pourquoi nous prions Dieu qu’il veuille protéger ce temple saint bâti pour nous
par l’empereur Charlemagne sur de solides fondations.

Une seconde inscription, à la base de la coupole, est un ajout voulu par les chanoines de la cathédrale en 19018. L’inscription carolingienne ne mentionne pas le nom de l’architecte, et il n’apparaît nulle part ailleurs sur l’édifice tel que nous pouvons le visiter aujourd’hui.

L’oratoire de Germigny-des-Prés semble plus riche en inscriptions. À l’entrée, se trouve une inscription tardive, peinte au XIXe siècle, d’après le catalogue des abbés de Fleury :

« Haec in honore Dei Theodulphus templa sacravi, quae dum quis adis oro, memento mei9 »

Moi Théodulfe, j’ai consacré ce temple en l’honneur de Dieu : Qui que tu sois qui le visites, je t’en prie, souviens-toi de moi.

Sur le chapiteau sud-est, on peut lire :

« III : NO[nas] : IAN[uarius] : DEDICATIO : HUIUS : ÆCCL[es]IÆ10 » Le III des nones de janvier, cette église a été dédiée.

Cette inscription suscite une question car si elle date de l’époque de la construction, on ne pouvait la voir sous les stucs et les mosaïques recouvrant apparemment toute la surface intérieure de l’édifice. De plus, son style très simple s’accorde mal avec le caractère somptuaire de la construction du missus dominicus. Si nous avons rencontré ce type de texte dans les inscriptions des XIe et XIIe siècles, nous n’avons pas trouvé de comparaison pertinente pour le IXe siècle11. De plus, Jacques Soyer, dans son étude de ce texte, note : « les caractères de l’inscription pouvant être attribués au IXe  siècle ou au Xe  siècle voire aux premières années du XIe siècle12. » Ainsi, il nous semble probable que cette inscription commémore la restauration de l’abbé Hugues de Fleury (1060-1067)13 plutôt que la construction sous Théodulfe.
La confirmation, à nos yeux, définitive du fait que cette inscription est celle de la dédicace de la restauration, et non de la fondation de l’oratoire, est arrivée en janvier 2014. En effet,
monsieur Jean-Francois Bradu, que vous avions rencontré sur les lieux lors de notre séjour d’études et avec lequel nous sommes resté en contact depuis, a accepté d’aller faire les repérages sur l’orientation de l’édifice que vous lui avons demandés. Si cette église avait été consacrée le 3 janvier (le trois des nones), l’axe de l’église devrait être aligné sur l’axe solaire ce jour-là. Or, les observations faites sur place ont permis de constater que l’axe du soleil était décalé de près de 20° vers le sud-est. De ce fait, nous pouvons avoir la certitude que cette inscription date du XI
e  siècle, et non du IXe  siècle, et, qu’à cette époque, l’ornementation des piliers était déjà largement tombée.

Sur le chapiteau du pilier nord-est qui fait face à celui qui le précède, une inscription apocryphe a été ajoutée par Théodore Crétin :

Tailloir nord « ANNO : INCARNATIONIS : DOMINI : DCCC : ET VI :
SUB : INVOCATIONE : SANCTAE : GINEVRAE :
Tailloir ouest « ET : SANCTI : GERMINI:
14 »
En l’an de l’Incarnation 806 [a été consacrée cette église] sous l’invocation de sainte Geneviève et saint Germain.

La réfutation de Jacques Soyer nous semble définitive, et nous la suivons, excluant cette inscription de notre corpus15.

Dans l’abside Est, sous la mosaïque, l’inscription de la mosaïque est la suivante :

« ORACLUM SCM ET CERUBIN HIC ASPICE SPECTANS ET TESTAMENTI MICAT ARCA
DEI - HAEC CERNENS PRECIBUSQUE STUDENS PULSARE TONANTEM
THEODULFUM VOTIS IUNGITO QUAESO TUIS
16. »
Regarde le saint Oracle et ses chérubins, contemple la splendeur de l’Arche de Dieu, et à cette vue songe à toucher par tes prières le Maître du Tonnerre et associe, je t’en prie, le nom deThéodulfe à tes prières.

Le texte de cette inscription avait beaucoup souffert et a été très largement reconstitué d’après la copie du catalogue des abbés de Fleury17.

A la lecture de ce corpus d’inscription s’impose la conclusion suivante : l’architecte n’est jamais mentionné. Le seul personnage attesté dans les inscriptions du IX
e  siècle est à chaque fois le commanditaire : Charlemagne à Aix-la-Chapelle, Théodulfe à Germigny-des-Prés. Les deux autres inscriptions sont problématiques, car apocryphes ou douteuses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Note additive à l’épitaphe de

Charlemagne, sur l’inscription

dédicatoire d’Eudes de Metz (Vita

Caroli, Vienne, Österreichische

Nationalbibliothek, ms. lat. 969, fol. 55v

Notes :

6 G. Binding, 1997-1998, p. 78, rapporte sur la base de travaux de dendrochronologie que les travaux ont débuté en 795 et que la rotonde a été achevée avant 813. Lui-même estime que la chapelle devait être achevée en 794-795, puisqu’à partir de cette date, Charlemagne y résida de façon permanente, y accueillant des ambassades étrangères.

7 Giersiepen, 1992, p. 6, n° 6.

8 Pour cette inscription et toutes les autres, nous renvoyons à l’ouvrage majeur sur le sujet : Giersiepen, 1992.

9 Soyer, 1923, p. 201. Peint sur le tympan en pierre de la porte de l’abside sud et relevé sur place. D’après le catalogue des abbés de Fleury.

10 Soyer, 1923, p. 198 ; Hubert, 1931, p. 563.

11 Deux inscriptions de ce type se rencontrent dans le cloître de la basilique Saint-Front de Périgueux, et dans plusieurs autres lieux visités durant nos années de thèse.

12 Soyer, 1923, p. 211.

13 Miracles de saint Benoît, livre VI, XIII, éd. de Certain, 1858, p. 237-238.

14 Soyer, 1923, p. 198 ; Hubert, 1930, p. 563.

15 Soyer, 1923, p. 210-212.

16 Soyer, 1923, p. 202 ; Hubert, 1930, p. 555.

17 Del Medico, 1943, p. 95-97.

 

Prendre connaissance de l'article de Maxime K. Yevadian dans sa totalité (version française) :

ENQUETE SUR L’INSCRIPTION DEDICATOIRE DE L’ARCHITECTE EUDES, DANS LA CATHEDRALE D’AIX-LA-CHAPELLE In Memoriam Armen Haghnazarian (1941-2009)

Mais qui est donc ce Théodulphe qui désire ne pas être oublié par le visiteur?        Page suivante : Théodulf