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CRAPOUILLOT juillet 1933 |
P 8-9 |
LE CINQ MARS 1933... |
Le 5 mars 1933 est une des dates qui resteront pour longtemps dans la mémoire des peuples. Jusque-là, hors d'Allemagne, Adolf Hitler n'avait éveillé l'attention que des milieux s'occupant professionnellement de politique. Diplomates, hommes politiques, publicistes pouvaient se demander parfois : Que se passerait-il si...? Mais pour "l'homme de la rue ", tant en France qu'en Angleterre, en Belgique, en Tchécoslovaquie et en Pologne, le nom d'Hitler ne signifiait à peu près rien. Il était chancelier depuis le 30 janvier ? Mon Dieu ! Un changement de gouvernement, sans plus. Depuis 1918 il y avait eu pas mal de ministères, tantôt un peu plus axés à gauche, tantôt plus à droite. Celui-ci serait un peu plus à droite et puis après... Mais quand les élections du 5 mars eurent préfacé ce qu'on a appelé " la révolution nationale allemande" un emploi sacrilège à la fois du mot " national " et du mot " révolution ", quand, dans l'espace d'une nuit, les hitlériens se furent emparés du pouvoir dans tout le Reich, dans les provinces et les administrations municipales, lorsque, s'accompagnant de musiques militaires, de carillonnements de cloches et de grondements de | canons, fut proclamé l'avènement d'une " Allemagne nouvelle ", alors " l'homme de la rue " lui-même commença de s'inquiéter d'Hitler. Depuis, au café ou chez le coiffeur, les conversations convergent vers le même point d'interrogation : Hitler... est-ce la guerre ? Depuis, l'angoissante question cent fois par jour se presse sur les lèvres des mères inquiètes pour leurs grands fils : Hitler... est-ce la guerre? Depuis, dans toute l'Europe, des millions d'êtres se couchent et se réveillent avec la même anxieuse interrogation : Hitler... est-ce la guerre ? Hitler, il n'y a pas si longtemps encore quantité négligeable pour l'Allemagne elle-même, commence à devenir pour le monde entier un sujet de cauchemar. C'est pourquoi une réponse à la question " Hitler... est-ce la guerre ? " correspond aujourd'hui à un besoin universel. Pour la formuler, cette réponse, dune manière claire et aussi précise que possible, il nous faut dabord examiner à grands traits les points suivants Qui est Hitler ? Quy a-t-il derrière le mouvement hitlérien ? Que veut-il et que peut-il ? La réponse à la question principale se donnera ainsi vraisemblablement delle-même. |
BOLCHEVISME, FASCISME, HITLERISME |
Depuis que la guerre mondiale a ébranlé
jusque dans ses bases lancien ordre établi, deux phénomènes ont apeuré le monde
: le bolchevisme et le fascisme, dont lhitlérisme nest quun dérivé.
Mais au fond, le bolchevisme était plus facile à prévoir et à expliquer que le
fascisme. Le bolchevisme nétait et nest encore autre chose que le socialisme
tel que lont enseigné Karl Marx et Friedrich Engels, mais un socialisme vu par le
prisme déformant dun il asiatique, faussé par cette folie à laquelle depuis
la guerre tant dhommes ont obéi, à savoir que la force est un principe créateur.
Cest un socialisme qui, au lieu de croire à la puissance irrésistible de
lévolution, se fait un credo de lemploi des baïonnettes et des
mitrailleuses. Dans sa substance la plus intime le bolchevisme nest donc pas
nouveau. Le fascisme, et aussi lhitlérisme au contraire, affichent volontiers la prétention dêtre quelque chose de tout à fait nouveau, dapporter de linédit. Voyons cela ! Les Français en particulier, pour expliquer la folie collective qui dévaste des millions de cerveaux allemands, ont fait des incursions dans le domaine de la métaphysique. Ils ont invoqué des causes mythiques, sinon mystiques, et ont parlé dun état dâme particulièrement secret et mystérieux propre au peuple allemand, en se basant sur le mot curieux de Clémenceau qui affirme le goût morbide des Allemands pour la mort. Il nen est rien. Je crois bien connaître mes compatriotes, précisément parce que je connais bien dautres peuples, et quil mest possible de comparer. Je puis affirmer en conscience que lAllemand moyen, le bourgeois, le paysan, louvrier, nest pas un être dune mentalité qui se distingue foncièrement de celle du bourgeois, du paysan, de louvrier des autres pays. Accessible à des influences mystiques, ce bourgeois, ce paysan, cet ouvrier ? Attiré par le goût de la mort ? Quelle plaisanterie ! Ce quil veut et ce quil aime, cest gagner sa vie, savourer ses petites joies, fonder un foyer, engendrer des enfants. |
LAllemand moyen nest ni un ange ni
un démon, mais un homme, soumis aux faiblesses humaines comme tous les mortels. Des
Français mobjecteront : Mais ça, le 5 mars et le reste, serait-ce
possible dans un autre pays ? Je voudrais mettre en garde contre une tendance trop facile à toiser de haut, en raison des récents événements, le peuple allemand. Il y a dans lhistoire de France un sombre chapitre qui nest pas encore si éloigné de nous. Il sappelle le second Empire. Si lAllemagne a son 5 mars, la France a eu son 2 décembre. Un trouble aventurier sempara alors, par de troubles moyens, du pouvoir. Seulement, il ne portait pas lhumble nom dHitler, mais abusait du grand nom de Bonaparte. Et le peuple, non seulement laissa faire, mais, hypnotisé par le mensonge et les belles promesses, ratifia lindigne coup dEtat en lui imprimant, par des plébiscites successifs, le sceau de la volonté populaire. Et lorsque vous, Messieurs les Français, dites que la République allemande était si peu si peu républicaine, je réplique : Hélas! avant damonceler les pierres pour nous les jeter, veuillez, je vous en prie, feuilleter lhistoire des jours qui suivirent Sedan, et vous trouverez une république qui, elle aussi, était si peu si peu républicaine. Cétait la République Française. Laissons donc les explications qui partent de je ne sais quel état d'âme propre au peuple allemand, évitons la métaphysique et tenons-nous-en à la seule raison. Des causes que l'on n'a pas à aller chercher dans les astres, des causes très terre à terre, suffisent simplement pour l'interprétation des faits qui se sont passés, qui se passent encore en Allemagne Et d'abord : si nous voulons comprendre et expliquer Hitler, nous devons remonter à un accessoire quotidien de la vie allemande : le Stammtisch. Ce qu'est en France la table des habitués du " Café du Commerce " est, multiplié, vulgarisé, tiré à des millions d'exemplaires, en Allemagne, le Stammtisch. |