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CRAPOUILLOT juillet 1933

P 12-13-14-15

ADOLPH HITLER

La personnalité d’Hitler reste aussi peu intéressante que sa vie. Né le 20 avril 1889 à Braunau-sur-Inn, fils d’un petit fonctionnaire des douanes autrichien, d’une instruction primaire et incomplète, orphelin à seize ans, dévoré d’ambitions artistiques, niais renvoyé pour manque de talent de l’Académie de Peinture, forcé de gagner son pain en travaillant à Vienne dans le bâtiment, puis peintre, encore dans le bâtiment, à Munich, voilà son existence avant la guerre, qu’il fit comme volontaire au 16e régiment bavarois d’infanterie, sans arriver à gagner plus que le galon de soldat de 1re classe. Après la guerre, il découvre — et d’autres avec lui — qu’il possède un talent relatif d’orateur, et on l’emploie à faire des conférences patriotiques dans la troupe contre le Traité de Versailles. C’est ainsi que commença une carrière politique qui se distingue par ceci, que le inonde ne connaît probablement pas d’autre exemple d’une si parfaite médiocrité portée par ses pairs au faîte du pouvoir. Ses adulateurs — car tout pouvoir est entouré de Byzantins — le placent au-dessus de Bismarck, mais l’idée seule d’une comparaison serait déjà sacrilège.On peut penser ce que l’on veut de l’homme d’Etat que fut Bismarck. On peut contempler d’un œil critique son œuvre et trouver que 1918 l’a jugée. Mais il est incontestable qu’il était un homme d’une grandeur certaine, un homme dont le front avait été effleuré par le génie. Il connaissait la langue française dans toutes ses finesses, lisait Byron et Shakespeare dans le texte ses conversations s’éclairaient de brillantes saillies dont la justesse étonnait souvent. Sa langue, notamment celle de ses volumes de correspondance intime, l’apparente aux plus grands prosateurs allemands. Hitler, au contraire, ne possède ni esprit, ni finesse, ni aucune culture. Il parle et écrit comme un apprenti garçon de café que démange le démon de la poésie, avec cette restriction que le moindre garçon de café lui est cent fois supérieur en bon sens et en raison.Les lectures qui ont contribué à sa formation appartiennent à la plus basse littérature. Lui-même avoue avoir "dévoré" quelques brochures autrichiennes antisémites, et c’est précisément à cet antisémitisme autrichien à la Lueger que s ‘applique le mot selon lequel il est "le socialisme des imbéciles " ("Sozialismus der dummen Keris "). Il y gagna de se faire du monde une conception primaire et grossière dont il ne parvint jamais à se débarrasser par la suite. Sa culture n’a pas dépassé le niveau de ces brochures d’un antisémitisme haineux. Quand Hitler, avec un fanatisme hystérique qui semble être sa seule force, commença sa croisade en faveur de sa pauvre vérité, il s’adressa logiquement au Stammtisch. Elle était tout juste suffisante pour un Stammtisch, car ce n’était pas autre chose que ce " Parti ouvrier allemand " (" Deutsche Arbeiterpartei ") fondé par l’ajusteur Antoine Drexler. Ce qui devait devenir par la suite le"Parti ouvrier national-socialiste allemand ")  ("Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei ") ne comptait alors que quelques douzaines d’adhérents, ou même, comme le prétend aujourd’hui Hitler avec une certaine coquetterie, ne groupait que sept membres. Mais il ne tarda pas à prouver son pouvoir d’attraction, car les Stammtische se firent attentifs et approuvèrent bientôt bruyamment, quand ils virent leurs propres idées, leurs propres remèdes, leurs propres solutions portés a la tribune comme une doctrine politique de salut public. Ils se levèrent avec enthousiasme en percevant un écho à leurs quotidiennes sottises et les cris fusèrent: Voilà notre homme! Heil Hitler! Que disait Hitler dans ses réunions publiques qui d’abord se limitèrent à la Bavière ? Cerveau rebelle à toutes les contingences historiques, économiques et psychologiques, il s’adressait à des cerveaux qui répugnaient également à des déclarations historiques, économiques et psychologiques. Il se servait des moyens les plus grossiers pour faire appel aux sentiments les moins généreux, et développait devant ses auditeurs une sorte             d ‘immense image d’EpinaI :" L’Allemagne, pays des dolichocéphales blonds, peuplée de l’élite du genre humain, avait été traîtreusement attaquée en 1914 par des peuples inférieurs envieux de sa grandeur et de l’éclat de sa puissance. Mais l’Allemand était suffisamment brave et fort pour triompher même d’une coalition aussi nombreuse, aussi la guerre, après quatre années de lutte, allait-elle être gagnée lorsqu’un coup de poignard vint Ce coup de poignard était l’œuvre des " Marxistes " c’est-à-dire : socialistes, démocrates, pacifistes, bolchevistes et juifs, les uns corrompus par l’or français, les autres rêvant d’une                  " hégémonie judaïque " La République était une institution criminelle et les chefs républicains autant de filous et de profiteurs qui ne travaillaient que pour leur propre poche. " Pour que le pays retrouvât sa prospérité, il fallait balayer la République et, dans ce but, le peuple allemand devait se grouper autour de lui, autour du conducteur, du "Führer" élu de Dieu qui, seul, pouvait encore sauver la nation. Ainsi parlait Hitler. Comme on le voit, c’est une doctrine éminemment subjective qui recherche les causes d’un malheur, non pas dans les circonstances, mais uniquement dans la perversité et la carence des hommes. Qu’y avait-il de nouveau dans cet amoncellement de lieux communs ? Exactement rien ! La doctrine de la prédominance raciale de l’homme blond a été fondée par le comte Gobineau, Houston Steward Chamberlain et autres. Le mépris pour les " races inférieures " fait partie depuis toujours des articles de foi des associations pangermanistes. La fable des origines de la guerre provient du fonds de propagande du Grand Etat-Major et les attaques contre le socialisme ont figuré sur tous les tracts du " Reichsverband zur Bekämpfung der Sozialdemokratie " (Association du Reich pour la lutte contre la social-démocratie). L’antisémitisme a d’innombrables sources tant allemandes qu’autrichiennes, quant au mot d’ordre d’une prédestination du " Führer " derrière lequel tous doivent se ranger avec obéissance et vénération, il ne fait que singer Guillaume II et appartient entièrement à l’Allemagne prussianisée d’avant 1914 qui, en Etat autoritaire, ne connaissait ni la participation du peuple aux affaires, ni démocratie, ni aucune égalité. Rien, pas même la manière d’Hitler, qui consiste à insulter grossièrement et sans aucun frein l’adversaire, rien n’est nouveau. C’est dans les mêmes termes orduriers qu’il y a bien longtemps déjà, Ahlwardt et le comte Pückler-Klein Tzschirne— héros aujourd’hui totalement oubliés d’un antisémitisme bruyant — tonnaient à Berlin contre les juifs et la juiverie        (" Juden und Judengenossen ") Niais sur les couches pour lesquelles elles étaient calculées, ces tonitruantes inepties sans cesse renouvelées produisirent leur plein effet. Dans un temps où le capitalisme semblait avoir fait faillite et le socialisme se développer au pas de charge, Hitler, lui aussi, hissa la bannière du socialisme. Il est vrai que ce " socialisme " était taillé sur un modèle convenant bien plus aux classes moyennes qu’à la classe ouvrière : comme tous les groupements antisémites, le parti national-socialiste est, dans son essence, un parti petit-bourgeois. C’était un "socialisme " qui ne faisait et ne voulait faire au capitalisme aucune peine, même légère, et c’est pourquoi il inventa le distinguo entre le capital "créateur " et le capital  " accapareur " (" Schaffendes " und " raffendes " Kapital). C’était un " socialisme " qui partait de cette conception singulière : celui qui est prêt à tout subordonner au bien de son pays, à tel point qu’il ne connaisse d’idéal plus haut que le salut de ce pays, celui qui, en outre, comprend ainsi notre grand chant national : " Deutschland, Deutschland über alles ", qu’il n’existe rien au monde pour lui de plus sacré que cette Allemagne, — hommes et terre ; terre et hommes, — celui-là est un socialiste. Ce socialisme hitlérien était donc aussi vague et nébuleux qu’il était démagogique et agressif. Il ne songeait nullement à toucher à l’arche sacro-sainte de la propriété privée, mais promettait la suppression du revenu "obtenu sans peine et sans travail " (Abschaflung des arbeits-und mühelosen Einkommens), ainsi que la "rupture de l’esclavage de la rente" (Brechung der Zinsknechtschaft,). C’est-à-dire des formules sous lesquelles chacun peut trouver ce qu’il y cherche. Il promettait, en outre, la "participation aux bénéfices des grandes entreprises " et la " confiscation pleine et entière de tous les bénéfices de guerre ", soit des mesures dont la première a été depuis longtemps appliquée et dont la seconde, rien que du point de vue pratique, s’est révélée irréalisable. Mais ce " socialisme " s’employait principalement, dans les réunions publiques, à exciter jusqu’à la rage la colère du peuple, et ce, en comparant au taux des allocations de chômage les traitements des ministres et des principaux administrateurs municipaux. De même qu’il proposait, dans l’Etat national-socialiste, une classification minutieuse des magasins de détail pour les attribuer à de petits artisans indépendants. Le nationalisme, par lequel Hitler complétait son hypothétique socialisme, n’était pas moins curieux. Il ne ressemblait en rien à ce nationalisme révolutionnaire tel qu’il naquit de la Révolution Française et qui, dans une ivresse de liberté et d’égalité, embrassait fraternellement le peuple tout entier. Non, c’était au contraire ce nationalisme étroit et borné tel qu’il poussait librement avant la guerre dans les couches supérieures de la nation allemande. Etant donné que cela fait partie intégrante de l’idéologie du Stammtisch qu’il recherche toujours les causes du mal chez les autres, jamais dans sa propre faute, l’Hitlérisme rendait responsable de tous les fléaux qui s’étaient abattus sur l’Allemagne le " Feindbund ", c’est-à-dire je ne sais quelle coalition d’ennemis avides de ruiner le Reich et avec lesquels, bien entendu, les Marxistes étaient de connivence.

 

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